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Emmanuel Macron, Dorian Gray à l’Elysée

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PARIS — Depuis son élection qui a rebattu les cartes de la politique française, au terme d’une campagne en forme d’épopée, le huitième président de la Vème République est l’homme du moment. Il intrigue, il fascine, il irrite, il attire les superlatifs mais laisse tout sauf indifférent. Au point qu’un vent de Macronmania semble emporter la France mais aussi, à en croire Gérard Collomb, le monde entier.

Il faut dire que la mue du président chérubin est étonnante. On le craignait trop tendre, inexpérimenté ? Il est parvenu en un temps record à imposer sa patte, son style, fait de références à l’histoire et de modernité. Finie cette fausse candeur juvénile! Envolée, cette exaltation de télévangéliste prêchant l’amour à ses ouailles, lors de ses meetings de campagne. Oubliés les fondements du mouvement En Marche censé redonner la parole aux Français, à la base. Désormais plus jeune président de la Vème République, il affiche une détermination d’acier. Et entend exercer, comme il l’a dit, un pouvoir jupitérien. Comprenez vertical et efficace. Autoritaire aussi, d’une certaine manière.

Les Français croyaient avoir élu un président jeune. Cool. Un jeune homme de son temps. De la génération Facebook, adepte d’un pouvoir horizontal, de l’ubérisation de la société et de la libéralisation de l’économie. Ils pensaient avoir porté à l’Élysée un petit prince de l’ère numérique. Moderne, évidemment moderne. Mais c’était un leurre. En effet, derrière la décontraction étudiée, sa manière de monter les marches de l’Élysée quatre à quatre (en prenant soin de diffuser la photo sur les réseaux sociaux), Macron porte en réalité sur ses épaules des siècles de destins mêlés. Et ne cesse de convoquer dans un étourdissant tourbillon les grandes figures de l’Histoire de France. Celles de la République, mais aussi celles de la monarchie et de l’Empire.

Les Français croyaient avoir élu un président jeune. Cool. Un jeune homme de son temps.

Désireux de porter le roman national,  il offre au monde le visage d’un chef d’Etat-kaléïdoscope: une touche de De Gaulle, pour la posture au-dessus des partis et le désir de refonder la France, une once de Mitterrand, pour les références à l’histoire, à la littérature et aux forces de l’esprit et sa posture de maître du temps, enfin un brin de Bonaparte et un zeste de Giscard pour la modernité.

Macron, left, with Canadian Prime Minister Justin Trudeau | Stephane de Sakutin/AFP via Getty Images

Macron, à gauche, avec le premier ministre canadien Prime Minister Justin Trudeau | Stephane de Sakutin/AFP via Getty Images

Étonnant, ce style finalement assez traditionnel du nouveau président ? Pas vraiment. Alors qu’il était encore ministre de l’Économie, Emmanuel Macron avait laissé entrevoir sa conception du pouvoir, dans une interview au «1», parue en juillet 2015. Bien avant la République En Marche, il y dissertait sur l’absence de la figure du roi dans la politique française et le «vide émotionnel, imaginaire et collectif» qu’il avait laissé. Plus tard, dans la campagne, il avait surpris certains de ses amis qui le pensaient de gauche tendance libérale, en tenant à saluer la réussite de Philippe de Villiers au Puy du Fou, ou en prononçant un discours exalté lors des Fêtes de Jeanne d’Arc à Orléans.

En fait, les Français ont choisi de porter au pouvoir une espèce de Dorian Gray. Qui n’a de juvénile que l’apparence. Et qui s’inscrit bien plus dans l’histoire que ses deux derniers prédécesseurs. La mue est apparue, criante, dès le soir de sa victoire. Cette longue marche, cette foulée présidentielle lente et cadencée dans la cour du Louvre, cadre de tellement d’épisodes de l’histoire de France, avec la Pyramide en contre-plongée et, en fond sonore,  la neuvième symphonie de Beethoven… Immédiatement, Emmanuel Macron, évidemment inspiré par les images de François Mitterrand au Panthéon, rendant hommage une rose à la main aux grandes figures socialistes disparues, a voulu marquer du sceau de la solennité son entrée dans la fonction présidentielle.

Depuis, et au lendemain de ses premiers pas sur la scène internationale — aux sommets du G7 et de l’OTAN — qui ont été unanimement salués comme un « sans-faute », presque une promenade de santé pour un président néophyte dont on craignait l’inexpérience en matière régalienne, le style Macron s’est installé. Un style fait de modernité à l’américaine, mélange d’Obama et de Kennedy mâtiné de Trudeau, de mise en scène personnelle, de références historiques, mais caractérisé aussi par une forme de détermination, de fermeté dans l’énoncé des problèmes que ne percevaient que ceux qui le connaissaient depuis longtemps.

Les références au style américain, elles, apparaissent dans une forme de communication apparemment décontractée mais en réalité très contrôlée. Les références historiques, elles, sont évidentes, que ce soit le soir de son élection ou lorsque le chef d’État français parade, au côté de Vladimir Poutine, dans la Galerie des Batailles au château de Versailles. Manière d’installer en filigrane l’idée qu’à côté du descendant de la grande Russie, il est lui, l’enfant-roi, l’héritier qui a en partage toute l’histoire de France et peut devenir un potentiel leader du monde européen.

Les références au style américain, elles, apparaissent dans une forme de communication apparemment décontractée mais en réalité très contrôlée.

Il a déjà démontré son culot, son désir de “bien nommer” les choses, son goût de la confrontation plusieurs fois depuis son élection.

Sa poignée de main virile avec Trump, analysée et décortiquée comme une forme d’affirmation, de duel musclé qu’il aurait remporté haut la main et qu’il a lui-même qualifiée de “moment de vérité.” Sa manière de recevoir Poutine à Versailles lui a permis de renouer les liens avec la Russie tout en énonçant clairement ses réserves face à la politique russe. Sa réaction prompte, et en anglais, suite à la décision du président américain de se retirer des accords de Paris sur le climat avec ce slogan “Make our planet great again,” aux accents d’un “Ich bin ein Berliner” de Kennedy, a également eu un retentissement étonnant.

De quoi faire tourner la tête de l’enfant prodige devenu président? Probablement pas, depuis qu’il est enfant Emmanuel Macron s’est construit dans le regard admiratif des autres et notamment de ceux qui l’ont aidé dans son ascension au pouvoir. Sa grand-mère, ses professeurs, sa femme, ses multiples pères — de Paul Ricoeur à Michel Rocard en passant par Henry Hermand, Jean-Pierre Jouyet, Jacques Attali ou François Hollande. Avec toujours une obsession : celle de ne pas se laisser enfermer. Seule une question demeure: que se passera-t-il si, un jour, le désamour s’installe?

Anne Fulda est une journaliste politique française au Figaro et auteur de “Emmanuel Macron, un jeune homme si parfait” (Editions Plon, 2017). 


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