PARIS â Depuis son élection qui a rebattu les cartes de la politique française, au terme dâune campagne en forme dâépopée, le huitième président de la Vème République est lâhomme du moment. Il intrigue, il fascine, il irrite, il attire les superlatifs mais laisse tout sauf indifférent. Au point quâun vent de Macronmania semble emporter la France mais aussi, à en croire Gérard Collomb, le monde entier.
Il faut dire que la mue du président chérubin est étonnante. On le craignait trop tendre, inexpérimenté ? Il est parvenu en un temps record à imposer sa patte, son style, fait de références à lâhistoire et de modernité. Finie cette fausse candeur juvénile! Envolée, cette exaltation de télévangéliste prêchant lâamour à ses ouailles, lors de ses meetings de campagne. Oubliés les fondements du mouvement En Marche censé redonner la parole aux Français, à la base. Désormais plus jeune président de la Vème République, il affiche une détermination dâacier. Et entend exercer, comme il lâa dit, un pouvoir jupitérien. Comprenez vertical et efficace. Autoritaire aussi, dâune certaine manière.
Les Français croyaient avoir élu un président jeune. Cool. Un jeune homme de son temps. De la génération Facebook, adepte dâun pouvoir horizontal, de lâubérisation de la société et de la libéralisation de lâéconomie. Ils pensaient avoir porté à lâÃlysée un petit prince de lâère numérique. Moderne, évidemment moderne. Mais câétait un leurre. En effet, derrière la décontraction étudiée, sa manière de monter les marches de lâÃlysée quatre à quatre (en prenant soin de diffuser la photo sur les réseaux sociaux), Macron porte en réalité sur ses épaules des siècles de destins mêlés. Et ne cesse de convoquer dans un étourdissant tourbillon les grandes figures de lâHistoire de France. Celles de la République, mais aussi celles de la monarchie et de lâEmpire.
Les Français croyaient avoir élu un président jeune. Cool. Un jeune homme de son temps.
Désireux de porter le roman national,  il offre au monde le visage dâun chef dâEtat-kaléïdoscope: une touche de De Gaulle, pour la posture au-dessus des partis et le désir de refonder la France, une once de Mitterrand, pour les références à lâhistoire, à la littérature et aux forces de lâesprit et sa posture de maître du temps, enfin un brin de Bonaparte et un zeste de Giscard pour la modernité.
Ãtonnant, ce style finalement assez traditionnel du nouveau président ? Pas vraiment. Alors quâil était encore ministre de lâÃconomie, Emmanuel Macron avait laissé entrevoir sa conception du pouvoir, dans une interview au «1», parue en juillet 2015. Bien avant la République En Marche, il y dissertait sur lâabsence de la figure du roi dans la politique française et le «vide émotionnel, imaginaire et collectif» quâil avait laissé. Plus tard, dans la campagne, il avait surpris certains de ses amis qui le pensaient de gauche tendance libérale, en tenant à saluer la réussite de Philippe de Villiers au Puy du Fou, ou en prononçant un discours exalté lors des Fêtes de Jeanne dâArc à Orléans.
En fait, les Français ont choisi de porter au pouvoir une espèce de Dorian Gray. Qui nâa de juvénile que lâapparence. Et qui sâinscrit bien plus dans lâhistoire que ses deux derniers prédécesseurs. La mue est apparue, criante, dès le soir de sa victoire. Cette longue marche, cette foulée présidentielle lente et cadencée dans la cour du Louvre, cadre de tellement dâépisodes de lâhistoire de France, avec la Pyramide en contre-plongée et, en fond sonore,  la neuvième symphonie de Beethoven… Immédiatement, Emmanuel Macron, évidemment inspiré par les images de François Mitterrand au Panthéon, rendant hommage une rose à la main aux grandes figures socialistes disparues, a voulu marquer du sceau de la solennité son entrée dans la fonction présidentielle.
Depuis, et au lendemain de ses premiers pas sur la scène internationale â aux sommets du G7 et de lâOTAN â qui ont été unanimement salués comme un « sans-faute », presque une promenade de santé pour un président néophyte dont on craignait lâinexpérience en matière régalienne, le style Macron sâest installé. Un style fait de modernité à lâaméricaine, mélange dâObama et de Kennedy mâtiné de Trudeau, de mise en scène personnelle, de références historiques, mais caractérisé aussi par une forme de détermination, de fermeté dans lâénoncé des problèmes que ne percevaient que ceux qui le connaissaient depuis longtemps.
Les références au style américain, elles, apparaissent dans une forme de communication apparemment décontractée mais en réalité très contrôlée. Les références historiques, elles, sont évidentes, que ce soit le soir de son élection ou lorsque le chef dâÃtat français parade, au côté de Vladimir Poutine, dans la Galerie des Batailles au château de Versailles. Manière dâinstaller en filigrane lâidée quâà côté du descendant de la grande Russie, il est lui, lâenfant-roi, lâhéritier qui a en partage toute lâhistoire de France et peut devenir un potentiel leader du monde européen.
Les références au style américain, elles, apparaissent dans une forme de communication apparemment décontractée mais en réalité très contrôlée.
Il a déjà démontré son culot, son désir de “bien nommer” les choses, son goût de la confrontation plusieurs fois depuis son élection.
Sa poignée de main virile avec Trump, analysée et décortiquée comme une forme dâaffirmation, de duel musclé quâil aurait remporté haut la main et quâil a lui-même qualifiée de “moment de vérité.” Sa manière de recevoir Poutine à Versailles lui a permis de renouer les liens avec la Russie tout en énonçant clairement ses réserves face à la politique russe. Sa réaction prompte, et en anglais, suite à la décision du président américain de se retirer des accords de Paris sur le climat avec ce slogan “Make our planet great again,” aux accents dâun “Ich bin ein Berliner” de Kennedy, a également eu un retentissement étonnant.
De quoi faire tourner la tête de lâenfant prodige devenu président? Probablement pas, depuis quâil est enfant Emmanuel Macron sâest construit dans le regard admiratif des autres et notamment de ceux qui lâont aidé dans son ascension au pouvoir. Sa grand-mère, ses professeurs, sa femme, ses multiples pères â de Paul Ricoeur à Michel Rocard en passant par Henry Hermand, Jean-Pierre Jouyet, Jacques Attali ou François Hollande. Avec toujours une obsession : celle de ne pas se laisser enfermer. Seule une question demeure: que se passera-t-il si, un jour, le désamour sâinstalle?
Anne Fulda est une journaliste politique française au Figaro et auteur de “Emmanuel Macron, un jeune homme si parfait” (Editions Plon, 2017).Â